Il y a quelques semaines, je vous avais sollicités pour recueillir des questions à poser à nos conducteurs de trains. Je vous remercie pour vos idées, j’ai pu partager vos questions avec Théo, qui s’est fait un plaisir d’y répondre.
Bonjour Théo, merci d’accepter de répondre aux questions de nos voyageurs lecteurs qui ont voulu interagir avec toi via les réseaux sociaux de la ligne. Ils nous ont transmis leurs questions via le fil Twitter de la ligne @LIGNER_SNCF mais aussi sur un billet dédié sur le blog. Nous avons quelques questions de leur part concernant ton métier de conducteur de trains.
La première : en cas d’incident, quelles sont les obligations d’un conducteur de trains en terme d’annonces et quelle est sa « To DO list » ?
Shark77 sur Twitter – Jelusy sur le blog
Bonjour à tous, et merci de l’intérêt porté à nos métiers !
Pour illustrer la situation, partons du cas d’un train qui tombe en panne.
Premier cas : on est le conducteur du train en panne. Le conducteur est la personne en charge de « piloter » le train, mais c’est aussi lui qui réalise les premiers dépannages, pour permettre au train de repartir avant d’être envoyé en centre de maintenance. Il y a donc plusieurs étapes à suivre, qui dépendent de la panne en question. Pour cela, un conducteur dispose d’une documentation réglementaire et technique qu’il doit appliquer. On peut ainsi être amenés à nous déplacer dans le train parmi les voyageurs, ou même à descendre du train pour certaines manipulations particulières. Parfois, pour notre sécurité lors de ces interventions, il faut ralentir ou arrêter les trains circulant sur les voies adjacentes. Cela nécessite donc avant toute chose de prévenir le centre de régulation et de supervision de la ligne, ou dans certains cas d’urgence, d’envoyer une alerte de sécurité pour ralentir ou arrêter les trains du secteur. Ces alertes et remontées d’informations au Centre Opérationnel permettent d’alimenter les canaux d’information (écrans à quai, annonces sonores, fils Twitter, app SNCF…).
Parallèlement, on se doit d’informer les personnes qui sont à bord du train. La règle nous demande d’informer les voyageurs au plus tôt et de renouveler cette prise de parole autant que possible, que ce soit directement à l’aide de la sonorisation ou avec un message préenregistré. Dans la réalité, c’est parfois difficilement compatible avec les procédures de dépannage et de sécurité. La priorité c’est la sécurité, ça passe avant tout.
Deuxième cas : on est conducteur d’un train impacté par l’incident, mais pas à son origine. Dans ce cas, on est embêtés tout comme vous les voyageurs, car cela nous retarde de la même façon que vous. On est obligé d’attendre que tout se fluidifie devant nous et on va appliquer les consignes données par le personnel de régulation : « tu dois rester à quai », « tu peux avancer dans telle ou telle gare », bien entendu dans le respect de nos consignes réglementaires. Et évidemment, dans ce cas également, nous sommes tenus d’informer régulièrement les voyageurs avec les infos qui nous parviennent.
Chaque incident étant différent (tant sur la nature de l’incident que son contexte, et sa localisation), il n’y a donc pas vraiment de « to do list » universelle valable dans tous les cas.
D’ailleurs, en cas d’incidents et de modification de journée, comment sont gérés les dépassements de temps de conduite ? C’est sur ce deuxième sujet que nos lecteurs s’interrogent.
Busmandu91 sur Twitter
Évidemment, quand il y a un incident, en tant que conducteur, on reste à bord jusqu’à ce qu’il se termine. Pas question de laisser notre train en pleine voie pour rentrer chez nous ! Cela peut donc parfois nous amener à avoir une journée beaucoup plus longue que prévu. Et cela va même parfois empiéter sur celle que nous devions assurer le lendemain.
Imaginons un incident important, en pleine pointe du soir. Il se peut que des trains du lendemain matin soient supprimés parce que les conducteurs qui devaient en assurer la conduite, n’ont pas eu le temps de repos réglementaire nécessaire à cause de l’incident de la veille, et qu’aucun autre conducteur n’est disponible pour le remplacer. Il existe des conducteurs de réserve, prévus pour être prêts à assurer un train « à la demande » en plusieurs points de la ligne. Mais au même titre qu’on ne peut pas prévoir un conducteur de réserve pour chaque conducteur, lors d’un incident important, ils sont rapidement réquisitionnés et on ne peut pas assurer la conduite de l’ensemble des trains dépourvus de conducteur.
On ne peut pas envoyer une personne prendre les commandes d’un train si on n’est pas dans le respect légal de ses heures de repos. Au même titre qu’il n’est pas prudent de conduire sa voiture avec un manque de sommeil, il n’est pas envisageable de demander à un conducteur d’assurer une mission de sécurité si ce cadre légal n’est pas rempli : chaque voyageur est une vie et nous en sommes garants le temps d’un trajet. Il y a des possibilités pour réduire légalement le temps de repos, par exemple en faisant dormir un conducteur à l’hôtel au lieu de le faire rentrer chez lui. Quoi qu’il en soit, ce sont les personnes en charge de la « gestion des moyens » (techniques et humains) qui vont gérer cela et qui vont pouvoir nous dire « il va falloir que tu nous assures un train en plus », ou encore « il va falloir que tu dormes ici ou là ». Ces personnes sont garantes du respect du cadre légal.
L’accident de personne est redouté par nos voyageurs car il est souvent long à gérer en plus d’être dramatique sur le plan humain. Pour vous, en tant que conducteur, si vous êtes confronté à un accident de personne, quel dispositif de soutien est mis en place ?
Shark77 sur Twitter
C’est aussi quelque chose que nous redoutons beaucoup car nous sommes « en première ligne ». Face à un accident de personne, on ne peut jamais prédire la réaction d’un être humain, même formé et conditionné pour réagir vite et selon des procédures claires. Chacun va réagir d’une façon qui lui est propre. Il faut donc une prise en charge adaptée et personnalisée.
Lorsqu’un accident se produit, après des gestes d’urgence, pour prévenir, alerter et secourir, on est vite pris en charge et isolé, pour que l’on ne prenne pas part à tout ce qui se met en place autour de la personne accidentée. Une relève est mise en place pour assurer la poursuite de la desserte du train, et on peut être accompagnés pour rentrer chez nous. On peut contacter une cellule d’écoute, disponible aussi quand on subit une séparation ou la perte d’un proche par exemple. Ils sont vraiment à l’écoute, et peuvent reprendre quelques nouvelles 3 ou 4 jours après pour voir comment on se sent, et si on a la force de reprendre les commandes d’un train. En plus de cet accompagnement, il y a évidemment nos hiérarchiques qui se doivent d’être présents et de nous entourer.
Merci Théo pour ta franchise et pour ta disponibilité afin de répondre à nos curieux lecteurs. Nous nous retrouverons lors d’un prochain épisode pour évoquer, après ce volet lié aux incidents, le signal d’alarme et le processus de recrutement pour devenir conducteur de trains. Certains d’entre vous seront peut-être déçus de ne pas avoir vu leurs questions sélectionnées, sachez que si certaines d’entre elles n’ont pas été traitées, c’est parce que Théo en tant que conducteur n’avait pas les réponses. Je vous invite cependant à poser d’autres questions qui vous viennent à l’esprit en lisant ce billet et j’inviterai un conducteur ou un manager de conducteurs (si les questions s’y prêtent davantage) pour y répondre.
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